samedi 12 décembre 2015

Emma et les esprits de Noel

                      Emma et les esprits de Noël



La vieille Emma venait d’avoir ses  soixante seize ans .Depuis vingt ans qu’elle habitait son 2 pièces au troisième étage elle en avait vu défiler des locataires dans les deux autres logements de son escalier .A vrai dire elle avait toujours vécu là ; simplement  du temps de ses parents puis après ,avec son mari et son fils , la famille occupait le rez de chaussée et le premier : sa mère tenait une boutique et elle avait pris la suite ….. pour remailler les bas , faire du repassage , reprendre des vêtements . Pour le repassage et la couture la clientèle venait surtout de la rue de Boigne , de la place Saint –Léger , de la rue Saint –Antoine….des « dames » qui ne  risquaient pas  de s’abîmer les mains en allant prendre  du thé et des gâteaux  au « pâtissier galant » sous les arcades mais qui venaient pour faire élargir leurs robes et leurs jupons .
Le rez de chaussée était toujours humide et sombre ,pour y accéder il fallait descendre trois marches . Elles travaillaient sous la lampe car elle ne pouvaient pas se permettre de ne pas faire de la belle ouvrage : petits points serrés , reprises  des dentelles qui étaient en elles même des dentelles , repassage des plis –sans faux plis-…..L’hiver malgré le poêle elles avaient toujours l’impression  d’avoir froid .
De l’autre côté du passage voûté qui menait à la cours un autre escalier desservait la maison voisine ; les appartements étaient occupés maintenant par des noirs et des chinois qui faisaient une drôle de cuisine . Les odeurs n’étaient pas tous les jours ragoûtantes mais elles avaient au moins l’avantage de masquer les effluves de pipi de chats  ….Pour ça il y en avait des chats dans le quartier mais il n’empêche que la nuit elle ne serait pas allée dans la cours parce que les bruits de courses furtives et les piaillements elle ne savait pas trop si c’était les chats ou des rats

Samedi matin avant 9 heures

Emma fermait la  porte de son logement en écoutant ce qui se passait chez ses voisins du dessous.
 L’immeuble était étroit et aux deux étages inférieurs il n’y avait qu’un appartement   dont la porte donnait sur la coursive extérieure  desservie par un escalier de bois dont les marches usées glissaient dès qu’il faisait humide. La balustrade rouillée branlait quand elle s’y accrochait mais c’était mieux que rien … elle n’avait plus le pied aussi sûr qu’avant et craignait de tomber 
« si je m’étiaffe comme la mémé d’en face et que j’y laisse mon col du fémur je finirais à l’hospice . »
Elle était allée  voir la mémé au pavillon Sainte –Hélène et le spectacle l’avait déprimée pour au moins une semaine.
 « rien que des vieilles , certaines le cul à l’air sur des chaises percées…. posées devant une télévision qui braille . « Les  feux de l’amour » , tu parles comme ça devait l’intéresser la mémé ce truc à l’eau de rose ; heureusement que j’avais des choses à lui raconter :la fatima d’en face qui s’est mis en ménage avec un  roumain qui lui fait faire la manche devant le Prisunic , le gros du restaurant qui a dû fermer un mois après le passage de l’inspecteur …y a longtemps que tout le monde  sait qu’il y a des blattes dans sa cuisine , le grand noir qui habite au fond de la cours dans l’ancienne remise et qui raconte qu’il est voyant …. ce qu’il voit j’en sait rien mais il a des visites , des pas tristes des fois !
Madame Gozzi ,du second, elle dit que depuis qu’il est là il fait venir des zombis et que c’est eux et pas les rats qu’on entend dans la cour . Elle a beau dire je l’ai vue moi aller au fond de la cour …. elle voulait sûrement un sortilège pour faire revenir le petit blond qui passait la voir pendant que son aînée était à l’école et la petite à la sieste ; elle peut faire sa sainte nitouche celle là tient …et même pas aimable avec ça . Toujours à râler et à médire ! »

Emma s’arrêta sur la coursive du deuxième étage , pris le temps de refixer les peignes en corne qui retenaient ses cheveux sur les côtés ….elle se donnait du temps pour écouter .
La dernière née des Gozzi pleurait  tandis que sa mère criait à sa sœur de s’arrêter immédiatement….. Agrippée à la rampe métallique Emma commença à descendre lentement , faisant particulièrement attention à rester sur le bord pour pouvoir poser entièrement le pied ; le milieu des marches était creusé par le passage et leur rebord était incurvé.
« Arrête donc de lui faire peur en racontant que tu entends marcher un fantôme la nuit  et qu’il viendra prendre son Doudou si elle ne te laisse pas sa trottinette. C’est toi qu’il va venir chercher si tu ne débarrasses pas immédiatement la table du petit déjeuner …
-mais tu viens de me dire d’arrêter parce que les fantômes ça n’existe pas !
- ne répond pas s’il te plait !
  mais non  poussin , il n’y a pas de fantôme .Habille toi s’il te plait ! »

« c’est tous les jours la même chose »  pensa Emma ;  « leur mère ferait mieux de leur mettre une fessée chacune au lieu de crier pour rien . Chez nous il y a belle lurette que la mère aurait décroché le martinet ! »
 Encore une marche .. «  Dire que c’est elle qui a raconté l’histoire des zombis chez le primeur ; elle ne manque pas d’air …. »

La vieille dame continua sa descente prudente. Pas de bruit derrière la porte de premier étage : « l’allemande  est encore couchée » grommela t’elle en continuant à descendre les marches une à une, avec précaution. Rien à dire sur la «  Gretchen » ; depuis septembre qu’elle était arrivée Emma n’avait encore rien trouver à redire , cela en devenait louche .

Arrivée dans la rue  Emma vérifia que son manteau noir était boutonné correctement et resserra les attaches de la capuche de plastique transparent qui lui couvrait la tête car il pleuviotait .
« Par les temps qui courent plus rien n’est comme avant  . Pas de neige pour la Noël  depuis je ne sais pas combien d’années  et puis tout ce que les gens dépensent pour un jour , même que certains mangent des patates tout le mois de janvier ou même pire achètent à crédit c’est pas normal tout ça . »
 Avec sa cane dans une main et son filet à provision dans l’autre elle ne pouvait pas prendre de parapluie. De toute façon les parapluies elle les perdait à peine achetés …c’est comme ses lunettes , elle avait dû mettre des cordons parce que sinon elle était tout le temps à les chercher
  « Avec une paire de loin et une paire de près c’est pas étonnant ; je suis toujours à en poser une pour mettre l’autre …. » .

Elle ne voulait pas que son fils l’apprenne , ni ça ni le fait que l’autre dimanche elle était sortie en pantoufles.  « pas la peine qu’il sache non plus que j’ai oublié le gaz sous la casserole la semaine dernière »
 De toute façon il ne venait presque jamais sauf pour « demander des sous » ; il ne risquait pas de la mettre chez les vieux « parce que ça coûte »

Elle craignait plus que les Gozzi signalent des chose à l’assistante sociale ; pour la casserole ils étaient montés parce que cela sentait le brûlé et l’autre jour comme elle descendait en courses elle les avait bien entendus qui parlaient de la possibilité d’acheter son appartement quand elle serait partie. «  Si c’est pour accélérer les choses qu’elle est allée chez le voyant elle va en être pour ses frais . J’ai encore toute ma tête et j’y crains pas moi la sorcellerie d’Afrique ; il peut bien lancer les sorts qu’il veux et faire venir les esprits  j’ai toujours ma croix de communiante qui me protège . »
Elle traversa, longea la vitrine du disquaire ….cet individu qui portait une boucle d’oreille que son crâne rasé de près ne cachait pas .Enfin , c’était dimanche  et le rideau du magasin était tiré, cachant ces « machins »  malhonnêtes qu’il y exposait :
 « des statuettes… qu’il appelle ça ; ben il est culotté d’afficher « statuette indienne ; kama sutra . Les statues , les statuettes pour de vrai c’est au musée qu’on les trouve  ou à la Métropole ; à la Métropole il y en a même sur la façade  et au moins ce sont de vraies statues même si il y en a de vilaines – des gargouilles dit le guide qui emmène les touristes – mises là pour décorer la cathédrale »
Emma pressa le pas en prenant le passage, elle ne voulait pas être en retard pour la petite messe ; elle ne voulait surtout pas qu’une autre prenne SA place . Du prie –dieu placé à côté du premier pilier , vers la porte de la sacristie elle pouvait voir ceux qui étaient là , ceux qui arrivaient en retard ou ceux qui partaient sitôt l’hostie avalée, avant la quête . Elle voulait surtout bien regarder comment les fleurs étaient arrangées et si les allées avaient été balayées correctement .Ce n’était pas sa semaine pour aider mais ce n’était pas une raison pour laisser faire n’importe quoi ; quand les choses n’étaient pas à sa convenance elle restait le temps que le monde sorte puis elle arrangeait à son goût .

Samedi 11 heures

 Bien que chargée de son filet rebondi par les pommes et les poires à rissoles qu’elle venait d’acheter au marché, la viande hachée « hallal » qu’elle y achetait aussi et 1/2 tomme, Emma fit le détour par « les éléphants » au lieu de rentrer directement par la place Saint Léger ; elle voulait passer à l’épicerie de la rue d’Italie pour récupérer le pandoro qu’elle avait fait mettre de côté.
En chemin elle s’arrêta plusieurs fois pour échanger quelques mots avec ses anciens voisins , Angeline qui avait été en classe avec elle , à l’école de la rue de la banque , et qui était restée vieille fille …..Pas étonnant, mauvaise comme elle était ! Elle avait aussi rencontré Madame Ambrosi ; elles étaient restées un bon moment à discuter à la sortie de la cathédrale, évoquant
les vieilles et les vieux qui  se retrouvaient comme elles à la Mission  Italienne , rue Saint Réal .
 Elles avaient un peu critiqué …entre ceux qui ne venaient que pour le café et les biscuits proposés à la fin des réunions  et qui ne participaient pas à l’organisation du Loto de Janvier  (dont la recette permettait de payer les petits goûters. Ils le savaient assez mais quand il fallait donner la main on les voyait rarement) ; de plus la plus part d’entre eux n’étaient arrivés qu’en 46-47 ….
En passant sous les arcades elle avait bien regardé  tous ces gâteaux dans la vitrine de la pâtisserie en pensant avec envie qu’ils étaient sûrement commandés par ces familles qui habitaient les beaux appartements rénovés… Sûr que si elle y pensait davantage elle allait se sentir obligée de retourner à confesse !

Samedi 17 heures

Emma venait de terminer la compote à rissoles ; la pâte feuilletée attendait d’être pliée une septième fois. Elle s’assit cinq minutes pour boire un dernier café …
Les petites  du second  étage étaient sorties avec leurs parents juste avant, sans doute pour aller voir les vitrines et les rues décorées pour Noël.
La vieille dame repensa aux Noëls de son enfance puis à ceux de femme mariée , maman d’un garçonnet turbulent certes mais si mignon avec ses yeux bleus et ses boucles noires  ; mi- souriante elle haussa les épaules pour se débarrasser des souvenirs ….
Il avait bien changé son garçon  !
Maintenant Emma se préparait une fois de plus à passer les fêtes toute seule , à aller à la messe de 9 heures le soir parce qu’elle n’osait plus rentrer de la Métropole passé minuit .
Elle n’installait même plus la crèche .

Elle se resservit un café : « coupé avec de la chicorée  ça ne peut pas me faire mal ». Elle ruminait…..  C’était bien fini les veillées de Noël  avec les voisins , l’époque  des années 50 où en attendant de sortir dans la neige pour aller à la cathédrale  les familles se retrouvaient tantôt chez les uns  tantôt chez les autres ; les enfants jouaient aux petits chevaux , leurs pères faisaient une belote et les mamans bavardaient …  Sa grand-mère assise à côté du poêle disait un chapelet ou continuait son tricot . Vers 11 heures la tisane était servie , un verre de blanc proposé aux hommes  puis chacun passait chez lui mettre  sa plus belle veste , son beau manteau après avoir emmitouflé ses gamins et les habitants de l’immeuble se retrouvaient dans la rue . Il y avait toujours quelqu’un pour aider la grand-mère et éviter qu’elle ne glisse .

«  Les gens sont plus comme avant » pensa t’elle , « avec la télévision c’est chacun chez soi et chacun pour soi »  . Emma se dit qu’elle ne risquait pas de demander de l’aide à ses voisins si elle avait un souci .
Quand elle était remontée tout à l’heure elle avait entendu  Sainte Nitouche discuter avec son mari …faut dire qu’elle avait besoin de poser ses courses ; elle n’était pas restée là pour écouter mais elle n’avait pas pu s’empêcher d’entendre  «  Tu devrais monter lui dire à la mémé du dessus  de ne pas faire de bruit le matin . Elle tourne et vire dès 5 ou 6 heures , son plancher grince et les filles se mettent à imaginer des fantômes »
Emma  avait repris son paquet et continué son ascension . « Elle manque pas de culot ! Se plaindre alors que je fais bien attention à ne pas trop  brasser …. C’est quand même pas le balai qui fait du bruit … De toute façon ce qui la dérange c’est qu’une fois ses filles réveillées elle ne peut pas traîner au lit !
Et puis me traiter de mémé, faut pas exagérer , j’ai pas encore atteint les quatre-vingts … »

Elle avait vu de la lumière chez l’allemande du premier en rentrant des courses et des voix jeunes avaient résonné dans l’escalier une partie de l’après –midi, avec des bruits de bouteilles qui s’entrechoquaient ; depuis un bon moment cependant le calme était revenu.

17h30 ! Elle avait dû s’assoupir quelques minutes. C’est le bruit de la machine à coudre des Silverstein qui avait dû la bercer : une belle Singer  qui avait fait des envieux dans le quartier quand elle avait été livrée en mai 38 ….mais qu’est ce qu’elle racontait là ? « tu déhottes complètement ma vieille » se dit elle .
 Les Silverstein avaient étés emmenés en 43, même que la vieille toupie du dessous, dont le frère s’était engagé volontaire pour le STO, avait dit aux boches que les deux petites étaient en classe. Les parents d’Emma en étaient encore tous retournés quand elle était rentrée de l’école.
Pourtant la machine à coudre continuait  de l’autre côté de la cloison  dans l’appartement au dessus de la boutique dont la vitrine s’ouvrait rue Dessaix...
« t’es fatiguée »  pensa t’elle ; « tu vas finir par croire aux fantômes  toi aussi , comme les petites du dessous » .
Emma se mit debout, finit de préparer ses rissoles et enfourna la première plaque … le bruit de la machine à coudre continuait à se faire entendre ; elle crut même un instant entendre pleurer le petit dernier des tailleurs. « Ce n’est pas possible, j’ai dû abuser sur la gnôle dans la compote ; elle m’est montée à la tête pendant que je touillais pour que ça n’accroche pas au fond de la casserole »

Samedi 1 heures

Emma faisait un petit clopet dans son fauteuil recouvert d’une couverture faite avec des carrés de laine récupérée en détricotant des gilets trop usés pour durer encore. Elle s’était déjà préparée pour aller à la messe de minuit : sa robe noire à petites fleurs et le gilet mauve qui allait avec , le chignon bien serré dans la résille retenait les cheveux qu’elle tirait avec des peignes au dessus des oreilles . Pour ne pas risquer de prendre froid elle avait mis par-dessus la robe  de chambre en laine des Pyrénées qu’elle avait offerte à son Albert à peine queques mois avant qu’il ne passe …comme elle ne voulait pas la laisser perdre elle l’avait mise de côté avant que l’aide-ménagère vienne l’aider à débarrasser le linge .

Des cris de femmes, les pleurs d’un enfant, des pas précipités dans l’escalier …. La vieille dame se réveilla en sursaut ; la  poignée de la porte d’entrée qu’elle avait fermée bougeait ….sans réfléchir elle ouvrit.
Une jeune femme brune  se précipita dans la cuisine, un bébé de quelques mois dans les bras, l’allemande à sa suite.
Elles s’appuyèrent contre la porte  qu’Emma avait refermé précipitamment derrière elles de façon instinctive .
 Des coups sur le bois, au point de faire tomber le plâtre entre chambranle et cloison , des vociférations dans une langue étrangère hurlées par au moins deux hommes, les jeunes femmes pétrifiées , le bébé qui hurlait …. puis plus rien  sauf des pas qui redescendaient l’escalier et les voix enragées qui s’éloignaient .

Bercé, le bébé se calmait ; sa mère le mit au sein tandis que Gertrude (désormais ce n’était plus « l’allemande » ) expliquait à Emma que son amie était une jeune fille de famille turque .Elles faisaient ensemble leurs études et  avaient quitté Berlin en même temps  : l’une officiellement dans le cadre d’un échange entre universités ,  l’autre en cachette  car ,enceinte de son ami , elle avait été condamnée à être tuée par sa famille  qui l’avait promise en mariage à un marchand d’Izmir et voulait « laver son honneur ».
Ils avaient retrouvé la trace de Gertrude et étaient venus chez elle où elles se trouvaient toutes deux pour fêter Noël avec des copains ; elles avaient ouvert sans méfiance pensant que c’était ceux-ci qui arrivaient avec un peu d’ avance.

Dimanche 1 heure

Emma pris congé de Gertrude et ses amis ; elle avait manqué la messe de minuit et se moquait de ce que Monsieur le Curé et ses copines pouvaient penser. Le Noël de cette année valait tous les sermons.
Gertrude l’avait invitée à les rejoindre au premier étage où pour ses copains de la faculté et Gudrun son amie elle avait organisé une fête  .
 Emma avait apporté rissoles et pandoro qui avaient fait plus d’heureux que quand elle les apportait à la Maison Diocésaine. Ils avaient partagé strudels, chocolats, baklawa , vin blanc , chansons , rires …
L’appartement avait bien changé depuis la jeunesse d’Emma ; il y faisait chaud .
La trappe qui permettait de prendre l’escalier de bois descendant à la boutique avait disparu sous un lino jaune . De toute façon la boutique n’existait plus : le local servait à la chaudière .

 En cette nuit de Noël la jeune mère et son bébé, Myriam, allaient coucher chez Emma ; pour être en sécurité avaient elles dit mais surtout parce que cela faisait un grand bonheur à la vieille dame.

Le lendemain elles rejoindraient le logement que Gudrun  occupait sous un nom d’emprunt :l’appartement des Silverstein, au dessus du restaurant indien de la rue Dessaix.
Le bruit qu’avait entendu Emma n’était pas celui de la machine à coudre mais le va et vient d’un  fauteuil à bascule ou Gudrun se balançait en berçant sa fille .
Dire que Gertrude avait choisi cet appartement  parce qu’il était possible  , en enjambant  la balustrade de l’escalier , de rejoindre la terrasse  qui reliait la maison de la rue Croix d’or et celle de la rue Dessaix ; Gudrun avait ainsi un moyen de fuir en cas de danger et de rejoindre Gertrude discrètement .
 C’était bien pensé mais ni l’une ni l’autre des jeunes femmes n’avaient envisagé la possibilité que pour atteindre Gudrun son frère aîné et son oncle pourraient vouloir s’en prendre à son amie .





Lundi 12 heures

Dans la boîte au lettres de Gertrude un courrier pour Gudrun  attendait : sa demande de statut de réfugiée avait été accepté .
Pour l’heure cette dernière attendait son ami à la gare avec la petite Myriam dans la poussette que madame Gozzi  lui avait donnée en disant que ce n’était  « pas grand-chose … il faut bien s’aider dans la vie », que  sa seconde fille allait sur ses trois ans et que cela lui rendait service en permettant de débarrasser le galetas de la layette et du matériel de puériculture qu’elle avait stocké « au cas où …»
Au troisième étage  Gertrude aidait Emma à mettre le couvert pour huit personnes ; tous les habitants de la maison se réunissaient autour de Myriam et ses parents pour fêter  Noël  après le 25 Décembre.
Emma avait les joues rougies par la chaleur régnant dans sa cuisine ; entre la cocotte de fonte où mijotait du lapin et la polenta qui gratinait au four  la gazinière  aurait suffit à chauffer la pièce mais elle n’avait pas voulu couper le chauffage de crainte que la « ptiote » ne prenne froid .
L’émotion de recevoir du monde chez elle qui restait d’habitude toute seule jouait sans doute aussi  un rôle dans les couleurs du visage d’Emma qui était  tourneboulée au point de ne pas prêter attention ni aux mèches s’échappant de son chignon ni au fait que les boutons de sa robe étaient attachés lundi avec mardi .
Gertrude l’aida à se boutonner correctement et lui glissa dans l’oreille de ne pas s’inquiéter, personne d’autre ne le saurait .

Emma se sentait pousser des ailes depuis les évènements de la nuit de la Nativité, des ailes qui ne devaient rien à la religion … elle n’acceptait pas que Gudrun et Gertrude lui disent qu’elle était un ange : un ange ça ne dit pas les choses comme elle les pense et ça Emma ne voulait pas y renoncer .Les après midi à la Mission Italienne  perdraient de leur saveur si elle devait tenir sa langue. De toute façon il fallait bien qu’elle aie quelque chose à dire à monsieur le curé quand elle se rendrait à confesse.


Lundi 22 heures

Emma venait de se coucher ; elle était fatiguée par cette journée de fête . Fatiguée mais heureuse . : pour la première fois depuis le départ  d’Albert elle n’avait pas été seule pour Noël ;son vaurien de fils l’ignorait depuis que le soir même de la mise en terre elle avait dû lui refuser l’argent du livret d’épargne qu’il réclamait .
Cette petite à côté c’était un petit bonheur pour elle qui n’avait pas eu de petits enfants , une famille de cœur  . Ah ça c’est sûr qu’elle avait envie de les gâter un peu
« De toute façon, les sous de la banque je ne partirai pas avec quand ça sera l’heure ! »
Elle aimait bien Gertrude aussi et regrettait qu’à l’été celle-ci doive retourner dans son Allemagne natale .
Elle pensa que si quelque chose n’avait pas changé c’était bien la bêtise humaine et la violence qu’elle engendrait .
Sous son édredon elle écoutait le fauteuil à bascule et s’endormit en faisant revenir l’esprit de la famille Silverstein : le  bébé,  les fillettes , le père qui bâtissait les costumes et faisait fonctionner la machine à coudre, la mère qui se chargeait des finitions …   

préparer Noël 2015

  Une fois  n'est pas coutume , depuis  hier c'est fait ; les paquets sont  emballés  et cachés .
Cachés par ce qu'il y a à la maison une curieuse qui voudrait  bien savoir  et à la fois avoir la surprise le 24 au soir .
 Emballés et cachés aussi pour que je  ne sois pas tentée de céder et de leur offrir un petit quelque chose que  je remplacerais ensuite avant même  le début de la veillée de Noël .
 Je me souviens -et  je n'ai pas de mal puisque Blandine  l'a évoqué il n'y a pas si longtemps -  de Noëls de quand ils étaient petits .
 Il y en eut un où, de retour de chez les grands parents paternels  aux petites  heures du matin , j'ai emballé avec les aînés  les paquets des cadeaux  du matin   pour les derniers juste récupérés de "l'écurie " où ils étaient rangés .
 La miss semble avoir veillé , cachée dans l'escalier ... ce fut la  fin pour elle  du Père Noël .

 Pour Héloïse le  père Noël  est une  histoire qu'elle a cru longtemps et voulu croire encore plus longtemps car... on  ne sais  jamais  ce qui peut se passer si on n'y croit plus :)
De ces fin de soirées  à  faire les paquets  je me souviens de 2 au moins . David et Luc  participaient aux "papiers cadeaux " des scouts   et ils avaient le coup de mains : skis et chaussures , planches à repasser et autres encombrants  avaient  fait partie de leur  journée avec des ours en peluche  plus ou moins volumineux , des boîtes de chocolats , des livres ou des disques .
 Des étendages peuvent même être offerts avec le panier de pinces à linges ... si , j'ai vu !

 C'est  le côté sympa des  cadeaux étonnants , tradition d'une  famille que  j'ai pu apprécier ,  sympa  car ils sont  un clin d'oeil .
 Rien à voir avec la centrale  vapeur offerte pour un Noël ou une fête des mères  à celle qui assure l'intendance de la maison  et qui aurait bien voulu  un peu de rêve , un cadeau  "pour elle" , qui soit choisi dans le but de faire plaisir et pas par ce qu'il est nécessaire pour faire le repassage .
C'est mon opinion  mais peut être que certaines femmes  se font plaisir avec une centrale vapeur , qu'elles en ont rêvé !
Les cadeaux étonnants ne sont pas forcément utiles ;  ce n'est pas leur fonction première . C'est ainsi que  j'ai vu déballer  un  lot de pattes de lapin  par celle qui rếvait de fourrure  ou un  vieux téléphone à touche sans doute retrouvé dans un placard  par celui qui avait égaré  nombre de portables . Leur  fonction est le plaisir de la surprise mijotée , souvent en famille, en plus du "vrai " cadeau  de Noël .
 Le mot "vrai"  ne me convient d'ailleurs pas  par ce que l'autre est vrai aussi , une vraie réponse  qui sous  le sourire  dénote une réelle affection .

Je me souviens aussi d'un énorme tracteur  pour "bébé Luc " au Noël de ses 2 ans , achat auquel Nounou avait participé ; c'est même elle  je crois  qui l'avait repéré la première dans   un rayon  du super marché local .
 Un gros tracteur rouge  auquel on pouvait accrocher une remorque , inusable et qui  a servi au petit  frère plus tard  quand n°2 a bien voulu le laisser .
Si un jour mes enfants  vous avez un petit garçon  ne vous étonnez  pas si  vous trouvez sous l'arbre un gros tracteur rouge ...



 Ces Noëls là restent pour moi  à la fois de bons souvenirs et des pincements au coeur  car impossible d'envisager la venue de ma mère ou un Noël chez nous , un  moment qui ne soit pas dévolu à "la grande bouffe" abondante à l'excès et onéreuse ,sans juste mesure .
Il y avait  là trop de choses auquelles je  n'adhérais pas ; ma mère refusait l'idée de venir peut être par ce qu'elle  ne le souhaitait pas , peut être par ce qu'elle savait  que  je n'avais pas possibilité de faire le choix de la recevoir, peut être par ce qu'elle a toujours cru que cela me convenait -ou même  me faisait plaisir- d'aller dans la  belle famille pour toutes  les  fêtes carillonnées (en plus des autres occasions ) ; je crois que pour elle la dernière option était sa  vérité et qu'elle  s'est engagée à aller travailler au PMU ces jours là par ce qu'il lui était plus  facile de  me dire à l'avance qu'elle  ne serait pas libre plutôt que d'être disponible et d'attendre une invitation  qu'elle  pensait que  je ne voulais pas faire .
Bien des années plus tard ,alors que je peux plus évoquer cela avec elle - car il y a  bientôt 20 ans qu'elle est morte- pas plus qu'avec mon père , je me demande encore  si il  n'y avait rien à voir  par ce que je le cachais  bien ou si  mes parents  n'ont rien voulu voir .

 Ne croyez pas que les Noëls de ces années là ne sont que de mauvais souvenirs ; les 2 exemples pris plus  haut  vous montrent bien que non. Ce  ne sont pas les seuls : me vient  à l'esprit une  locomotive   -rouge elle aussi - ,
 de la dinette et la cuisinière des filles , les premières Barbies que j'ai acheté pour Blandine  en choisissant des princesses (et pas des figures de modes , des pimbêches , telle que lui avaient offert mes  beaux parents alors qu'elle devait avoir 3 ans ),avec cheval ou voiture  pour entretenir le rêve et contrecarrer la vision de ma  belle -mère , les poupées avec leur trousseau




 (satisfaction de rêves d'enfant comme le tracteur rouge )ou les micro-machines .

  Que ce soit pour les Barbies  ou pour les micro-machines


j'ai le souvenir d'un camping-car . Rebellion contre cette foutue caravanne , réalisation modèle réduit d'un rêve  qui a  débouché sur Dumbo ?


A vrai dire  je m'en fiche.
 Ce dont  je me souviens  c'est de la recherche de ces cadeaux que  je destinais aux enfants (avec la comparaison des Action-man  que  je ne voulais pas trop guerriers - mais  pas au point de leur substituer  un Ken  de Barbie - avec un côté aventurier  associé  à la combinaison de plongée ou au parachute  mais sans mitraillette
 plus celui là ou celui ci (s'il avait existé à l'époque ) que


celui-ci

 Je me souviens  des boîtes de Lego - y compris  les Lego techniques - bateau , avion ...-


 et d'un Mécano , d'un chalet en bois

 et de Playmobiles ...
Il y eu  plus tard pour Blandine la maison  Playmobile




Pour  Héloïse un zoo (merci Parrain ) , une ferme  , des animaux  Playmobile , d'autres Lego -plus filles - sont venus  à Chambéry  completer  le contenu des tiroirs .




 Je  me souviens aussi d'un lecteur de cassettes


 d'une toupie ,

de cubes ,

de puzzles ,

de livres d'images

   d'une grue et d'engins de chantier,

 d'un dinosaure violet ,

 d'un tigre en peluche ,





  de cassettes vidéo  (Père Castor raconte moi une histoire ... mais aussi Barbie Casse Noisette et Raiponce , Heidi ou Les malheurs de Sophie -venues de Versailles -, Bambi et les Aristochats ... )

de jeux pour vos maudites consoles dont  je ne voulais pas ,

 du Lynx  et du Monopoly  dont  vous faisiez de grandes parties avec Bernard

d'un cheval  qui clignotait et faisait de la musique(impossible d'avoir la bête sans la donzelle),

des Duplo ...  du fait de choisir avec -souvent-  l'idée de  vous faire  progresser (d'où les jeux éducatifs  qui  sont rasoirs et ne sortent pas du placard ;j'ai vite compris  mais pour les 2 grands j'avais encore toutes mes illusions )  et que  sur le plan esthétique cela  ne heurte pas pas sensibilité . Honnies donc les figurines des Tortues Ninjà  et autres "cochonneries " jusqu'à ce que je cède devant les Barbies et Actions Man  par ce que c'était votre plaisir  (et aussi  pour  ne pas laisser  aux grands parents paternels  l'apanage  de vous offrir voitures Batman  ou autres  objets de vos désirs entretenus par les publicités de la TV et les  copains .

 Vous n'avez plus l'âge de ces cadeaux finalement assez  faciles à trouver ; les désirs d'enfants sont plus faciles à combler que ceux de jeunes adultes  dont  je ne sais  finalement plus grand chose  ce d'autant  plus que , pour les 3 grands ,  nous  ne partageons plus le quotidien.
 Vous écrire tout cela  c'est aussi dans ma tête vous offrir un peu de temps  et des souvenirs .
 Bon Noël  à tous les 5

 Maman